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Résumé de la discussion

MthS-MlndN
25-05-2010 14:47:15

9

Le Périple. Drôle de nom pour un bar, se dit Malandrin. L'ambiance du lieu ne lui était pas particulièrement familière, et il n'était pas grand amateur de ce genre de bars : de la moquette partout sur les murs, des poufs violine devant des tables rondouillardes en verre dépoli, et une insupportable musique lounge qui lui rappela un repas dans un "Prêt à Manger" londonien. La nourriture, saine et pas très chère, était en plus délicieuse pour un fast-food… et très bonne dans l'absolu, d'ailleurs - mais les haut-parleurs diffusaient en boucle une sorte de musique mollassonne et vaguement indianisante à la Buddha Bar qui l'avait amené à finir son repas dans le parc le plus proche. Le surlendemain, il était assommé, malmené, voyageait d'un bout à l'autre de Londres pour répondre aux exigences d'un dangereux adversaire qui avait trop regardé Die Hard 3… et au final, il retrouvait Camille, l'innocentait… Ils s'embrassaient tendrement, puis… Malandrin revit défiler avec les plus divines délices la semaine de vacances qu'ils avaient pris tous les deux, enfermés chez elle du matin au soir, se nourrissant à peine, fumant des pétards, regardant le début d'un film, puis en laissant défiler la fin sans plus y prêter attention, car une simple caresse de la main avait encore fini par se transformer en un long et transpirant accouplement…

Tiraillé entre la sensation de ne pas être à sa place et la douceur acidulée de ses souvenirs, oscillant donc entre un début de nausée due à l'intolérable musique et une émotion moins catholique encore naissant dans son bas-ventre, il décida de s'asseoir au bar en soupirant. Le barman, un blondinet d'environ vingt-cinq ans, très BCBG, lui adressa un "Bonjour, monsieur" qui semblait vouloir dire "Si vous commandez moins de quinze euros de cocktails, je vous vire d'ici". Malandrin se sentait comme pris au piège : il n'aurait aucune information valide à se mettre sous la dent s'il ne cédait pas à cette requête implicite. Montrer sa carte de flic l'aurait sans nul doute desservi, mais il contrastait à tel point avec le lieu que le jeune barman se douterait bien qu'il cherchait quelque chose de particulier ; alors autant le laisser imaginer ce qui lui plaisait (ou ce qui l'effrayait) le plus.

"Bonjour. Un mojito, s'il-vous-plaît.
- Tout de suite, Monsieur."

La menthe à broyer et les glaçons à piler, c'est pour t'apprendre à me faire boire autre chose que de la bière, pensa Malandrin avec un sourire… d'autant que son ire n'était même pas honnête. Et qu'il adorait les mojitos.

Il tenta de savoir comment amener à Marc. Il ne disposait d'aucune description physique, et ne connaissait qu'un nom qui était sans doute un pseudonyme. Il avait dû être vu avec Cindy et Isabelle dans ce bar, et Cindy était le genre de jeunes femmes dont tout serveur non homosexuel se souviendrait probablement quelques jours plus tard. Lorsque le blondinet lui apporta son mojito, il tenta le coup :

"Merci, monsieur. Euh… Excusez-moi, mais…
- Oui, monsieur ?
- Je cherche quelqu'un qui m'a dit pas mal venir ici. Il s'appelle Marc, je ne sais pas si vous le connaissez…
- A quoi ressemble-t-il ? (Qu'est-ce que je vais bien pouvoir inventer ?)
- Le problème, c'est que je l'ai connu sur un forum, et je ne sais pas à quoi il ressemble.
- Ah ?
- En fait, je suis sur Paris pour la semaine, et j'aimerais le rencontrer par surprise si possible. Je ne l'ai pas prévenu que j'étais là, alors s'il est dans le coin aujourd'hui ou demain…
- D'accoooooord, fit le serveur avec un sourire un peu naïf, c'est super comme surprise ! (Oups, il a des manières franchement effeminées… J'espère qu'il se souviendra de Cindy quand même. Il faillit sourire, se reprit, et laissa le serveur continuer.) Alors… Marc, vous dites ? (Malandrin hocha la tête.) J'ai dû en croiser deux ou trois… Vous ne savez vraiment pas à quoi il ressemble ?
- J'ai peur que non, mais il m'a beaucoup parlé d'une amie à lui qu'il voit très souvent, donc je suppose qu'ils sont déjà venus ici ensemble…
- C'est marrant, votre truc, le coupa le blondinet, vous menez votre petite enquête juste pour retrouver un ami à vous… Vous pourriez être flic ! (Il éclata d'un rire niais ; Malandrin se contenta de sourire.)
- C'est gentil ! Euh… Alors, il m'a dit qu'elle s'appelle Cindy, une brune de vingt ans, taille moyenne… (Son esprit ressassait l'image de Cindy qu'il avait gardée gravée dans sa tête, essayant de la modeler en quelque chose de vivant.) …fine, avec une poitrine superbe, de ce qu'il m'en a dit…
- Oui, je crois voir qui c'est ! Elle est venue avec une autre jeune femme et un homme d'une dizaine d'années de plus, un Marc, c'était… euh… il y a trois jours, quatre peut-être ? Mon collègue a essayé d'avoir son numéro de téléphone… Ca a raté, bien sûr ! Si vous parlez de ce Marc-là, il est là quasiment tous les jours. (Il se pencha vers Malandrin, comme pour lui murmurer un grand secret, alors qu'il n'y avait qu'eux deux dans le bar à cette heure-ci.) Je ne l'aime pas trop, d'ailleurs, ce type. Il a l'air un peu… je sais pas, un peu louche. Mais bon, il a ses habitudes ici, alors je peux rien dire, c'est pas moi le patron…
- Il a ses horaires ?
- Oui, il vient vers 18 heures, généralement, mais il arrive qu'on le voie passer en courant de journée. Il jette un oeil par-ci par-là, il boit une petit bière, et il repart. Je suis de service aujourd'hui et demain, jusqu'à vingt-et-une heures, alors si vous êtes tous les deux là en même temps, je vous montrerai qui c'est.
- Merci beaucoup.
- Vous venez d'où ?"



10

"Pour tous ces gens, l'amour, c'est… je sais pas, une vieille utopie dont il faut se débarrasser pour réussir… la société entière, que nous avons créée, qui est à notre image ! cette société nous pousse à l'égoïsme, au manque de compassion, au désamour le plus complet !
- Dans un sens, c'est normal, renchérit Malandrin qui s'étouffa à moitié avec sa gorgée de cocktail, parce que l'amour, la compassion, n'est pas un produit de la pensée, mais quelque chose qui vient de bien au-delà, et nous sommes devenus des êtres uniquement intellectuels. Nous réfléchissons à tout un tas de trucs, et si nous ne nous sentons pas bien, des psychiatres vont essayer de nous démontrer par A plus B pourquoi nous n'allons pas bien, par une attitude logique, mathématique, alors que la plus grande raison de notre malheur sur Terre, c'est que nous n'écoutons plus cette partie de nous qui est au-delà de la logique et de la pensée… (Il but une nouvelle gorgée, veillant à ce qu'elle emprunte le bon chemin cette fois-ci, tandis que le barman attendait la suite de ses paroles en méditant celles qui venaient de sortir.) Nous nous volons le droit d'être nous-mêmes, en cherchant à être quelque chose, en visant la réalisation, ou plutôt en visant une certaine forme de réalisation (Malandrin appuya fortement ces mots), parce que nous croyons savoir ce qui nous rendra plus heureux, nous nous fixons des objectifs, et bien entendu ils ne sont pas bons, car en voulant quelque chose de particulier, nous ne trouverons jamais la réalité telle qu'elle est !"

Malandrin buvait son troisième mojito dans le bar (et, faute d'habitude, sa tête commençait à légèrement tourner). Une heure avait passé, durant laquelle la discussion très formelle avec le serveur avait peu à peu muté en une conversation plus personnelle. Emporté par le flot de ses émotions et de ses pensées qui s'entremêlaient joyeusement, il avait du mal à exprimer ses idées dans un ordre à peu près clair : elles sortaient naturellement, comme indépendantes de sa volonté et se précipitant sur lui pour lui rappeler leur vérité.

L'arrivée d'un nouveau client dans le bar lui était passée inaperçue, mais le serveur profita de ce qu'il sirotait une nouvelle gorgée à la paille pour le lui signaler :

"Désolé de vous interrompre, mais votre homme vient d'arriver. Il est en train de s'installer à la table derrière le pilier, à trois heures de là où vous êtes ! Je vais lui signaler votre arrivée ?
- Non, répondit Malandrin qui venait de retomber de son nuage (le travail reprenait). Je vais aller le voir directement, merci."

Malandrin se dirigea tranquillement vers Marc, s'arrêtant vers lui, pas trop loin, pas trop près, comme on le lui avait appris.

"Excusez-moi, monsieur, êtes-vous Marc Frognard ?"

L'homme se tourna vers lui ; une petite trentaine d'années, brun, mal rasé, avec un début de calvitie et des cernes imposantes sous ses yeux d'un bleu délavé. Il eut immédiatement un réflexe défensif, reculant un peu le dos, redressant la tête comme un chien aux aguets.

"Que me voulez-vous ? fit-il dans une voix qui restait relativement monocorde, à croire que l'homme avait l'habitude de ce genre de situations.
- Cindy m'a envoyé vers vous. (Le regard de l'homme changea légèrement. Bingo, se dit-il.) Je crois que je ferais mieux de m'asseoir. (Et, joignant le geste à la parole :) Faites comme si vous me connaissiez depuis quelque temps, j'ai dit au barman que nous avions déjà pas mal discuté et il pense que vous allez être ravi de me voir.
- Que me voulez-vous ?" répéta "Frognard", encore sur la défensive.

Malandrin ne pouvait pas faire mieux qu'aller droit au but :

"Que savez-vous sur Brutus ? Cindy était sur sa piste, et elle est morte. Que lui avez-vous dit ?
- Ecoutez, je n'ai rien à voir avec ça, OK ? (Visiblement, il sait reconnaître un flic quand il en voit un.)
- Je ne vous accuse de rien, je veux juste savoir ce que vous leur avez dit.
- …je reviens."

Sans demander son reste, l'homme se dirigea prestement vers les toilettes. Malandrin l'aurait rattrapé par la manche, s'il n'avait pas laissé son sac posé contre le pied de la table. Le serveur revint rapidement :

"Comment ça se passe ?
- Je n'arrive pas au meilleur moment, apparemment. Il vient d'apprendre une mauvaise nouvelle. Je pense que je n'aurais pas dû arriver à l'improviste…
- L'idée était bonne, pourtant, jugea le jeune blond. Mauvais concours de circonstances" ajouta-t-il sur un ton pensif, alors qu'il regagnait déjà son bar.

Marc revint des toilettes, et son premier réflexe fut de se pencher pour récupérer son sac. Ce faisant, il regardait Malandrin du coin de l'oeil.

"Ecoutez, je ne veux pas parler de ça. Cet épisode de ma vie est derrière moi, et si vous pensez que j'en ai parlé à qui que ce soit, alors vous vous trompez."

Et il lui adressa un rapide signe de tête en direction de l'arrière-salle, avant de sortir du bar sans un mot. Malandrin le laissa faire, impuissant. Il avait néanmoins noté le signe de tête.

"En fait, je crois qu'il ne voulait tout simplement pas me voir, remarqua Malandrin à haute voix pour que le serveur l'entende.
- Désolé pour vous", répondit le blondinet avec un air de compassion non feinte.

Malandrin se dirigea vers les toilettes, vers lesquelles le signe de tête de Marc semblait le guider. Coincé derrière un des côtés du miroir qui faisait face au lavabo, il y avait un papier plié en huit. Malandrin le déplia et le lut.

http://www.prise2tete.fr/upload/MthS-MlndN-malandrin3-ep4-danslestoilettes.jpg

Je connais déjà ce Renaud Lavigne, se dit Malandrin. En quelques minutes, le message était déchiffré.
J'y serai. Il salua le serveur, ajouta un petit mot poli ("ce fut un plaisir de discuter avec vous" - il le pensait vraiment) et sortit sans trop savoir dans quelle direction il pouvait prolonger ses recherches, en attendant le rendez-vous…



11

En quête d'inspiration, Malandrin rentra à l'hôtel, tout en passant un coup de fil au commissariat pour savoir si Papiéchau avait des traces d'Isabelle ("aucune jusqu'ici, mais je cherche"), et s'il pouvait chercher un éventuel Marc Frognard sur Paris et sa région ("pas de trace de lui dans nos fichiers, c'est peut-être un faux nom"). Il se déshabilla, mit de la musique sur son iPhone qu'il relia à une petite paire d'enceintes qui ne le quittaient jamais, et prit une douche bouillante, ressassant les éléments qu'il avait jusqu'ici, et ne sachant pas où donner de la tête à présent. Tant qu'il n'aurait pas de nouvelles d'Isabelle Poussard, Malandrin était dépendant de ce que Marc aurait à lui apprendre ; il était donc bloqué pour quelques heures…

Quand il sortit de la salle de bains pour couper la musique, quelque chose avait changé dans la pièce, comme si quelqu'un y était passé. Malandrin ne savait pas à quoi il devait cette impression, mais elle était indéniable. A peine vêtu d'une serviette qui entourait sa ceinture et cachait ses parties intimes, il saisit instinctivement son pistolet dans la poche intérieure de son veston, mais une feuille pliée en quatre y était également, qu'il n'avait jamais placé là.

Quelqu'un était entré ici. Quelqu'un qui aurait même pu le déposséder de sa seule arme, mais qui ne l'avait pas fait. Menace ou mise en garde ? Dans le doute, sans même regarder le message sur le papier, Malandrin sortit dans le couloir de l'hôtel. Personne. Il lui serait sans doute inutile de descendre jusqu'au hall : l'invité mystère devait déjà être loin.

Il rentra dans la chambre, le coeur encore légèrement palpitant, et, enfilant ses gants pour ne pas gâcher d'éventuelles empreintes, saisit le papier, le déplia, le lut.

http://www.prise2tete.fr/upload/MthS-MlndN-malandrin3-ep4-danslapoche.jpg

Du morse ? pensa Malandrin. C'est indéchiffrable sans pauses ! A moins que… A moins qu'il n'y ait pas tous les caractères qui apparaissent, mais seulement quelques-uns ! Malandrin, cherchant les suites de points et de traits récurrentes, finit par résumer tout le message à un éventail très réduit de caractères, qui, déchiffrés, formaient un nouveau message crypté. Trouvant ce double cryptage malin, Malandrin le déchiffra néanmoins en quelques minutes à peine. C'est donc une menace…








PS : après cet épisode, je ferai une pause de mi-saison, pour la simple raison que j'ai cruellement manqué de temps pour la conclure (travail, déménagement, mission de dix jours en Corse, et j'en passe). Je vous ferai quelque chose de joli pour fêter ça !

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