Je n'ai eu aucun problème à obtenir un mandat pour interroger Caroline ; l'aveu écrit de sa volonté de meurtre a largement suffi pour que le procureur EfCeBa nous l'accorde. Je tenais absolument à me dépêcher avant qu'elle ne puisse fuir, effrayée par l'enquête que je menais. Mais elle n'est pas partie à temps : elle est là, juste devant moi, visiblement morte de peur. Son angoisse déforme les traits de son visage d'une façon atroce.

"Vous savez pourquoi vous êtes là ?
- J'ai été prévenue. Il a été assassiné.
- Alors, que s'est-il passé entre vous et Vittorio ?
- Je ne vois pas de quoi vous parlez, me répond-elle froidement.
- Ah bon ?"

Je fais mon numéro de flic méchant et borné, tournant en silence autour d'elle. Puis je me lance.

"Mademoiselle, nous avons retrouvé chez votre frère une lettre où vous dites clairement vos intentions de tuer votre père.
- Oui, et ?.. Ca ne vous arrive jamais d'être en colère et de prononcer des paroles en l'air ? (Elle est visiblement furax.)
- Pas d'aussi fortes, non."

Et allez, maintenant je fais mon flegmatique, je me la pète Sherlock Holmes. C'est moche, ces numéros d'acteur qu'il faut tenir dans un interrogatoire.

"Eh bien, moi, oui. J'ai toujours eu un caractère fort, du genre à conspuer quelqu'un sur un accrochage mineur, et c'est ce qui s'est passé. Louis a sans doute planqué la lettre pour me protéger.
- Vous protéger de quoi ? m'enquis-je.
- De flics un peu trop bornés pour admettre qu'il y a une différence entre dire et faire."

Là, elle m'a eu. Rattraper le tir, vite.

"Et pourquoi Louis vous protègerait-il ? Après tout, vous n'êtes pas très adorable avec lui non plus, non ?
- ...Non, finit-elle par admettre. Pas toujours. Mais il a toujours su que j'avais mon caractère. Le mouton noir de la famille n'est pas forcément celui à qui vous pensez.
- Bien, m'exclamai-je, alors allons-y : qui souhaitez-vous accuser à votre place ?
- Je n'accuse personne ! hurle-t-elle. Il est hors de question que j'accuse qui que ce soit ! Vous avez de la merde dans les oreilles, et dans le cerveau avec ! Depuis quand êtes-vous persuadé que je suis coupable ? Depuis que vous m'avez vue et trouvée moche ?!"

Elle reprend sa respiration, adoucit le ton de sa voix, comme dépitée.

"Tous les hommes font ça. Si vous n'avez pas le cul de Miss Univers, vous êtes au mieux insignifiante, au pire accusée de tous les maux. Les humains n'ont pas changé depuis le Maccarthisme, pas plus que depuis l'Inquisition. Si ma voisine est moche ou ouvre un peu trop sa gueule, je n'ai plus qu'à la dénoncer comme sorcière et hop ! le tour est joué. Vous n'avez pas l'ombre d'une preuve contre moi, et vous voulez que je vous dise pourquoi ? Parce que je ne lui ai rien fait, au vieux ! J'étais persuadé qu'il s'agissait d'une crise cardiaque avant que Louis ne me prévienne..."

Des larmes perlent à ses yeux. Je sens mon assurance se casser la gueule, mais je décide de rester sur mes positions. Avec une grande peur à l'idée que je vais sans doute surjouer.

"Bien sûr. Et, bien entendu, vous n'avez pas touché au testament ?
- Pourquoi je l'aurais fait ? Par envie de donner du fric à ma chère petite soeur ?
- Pour accuser n'importe lequel des deux d'avoir voulu détourner du fric, et vous en tirer indemne.
- Super. (Elle baisse la tête.) Tout m'accuse, dans l'histoire. La couverture idéale, c'est moi. Grande gueule, ordurière, la super-méchante incarnée. La sorcière à passer au bûcher."

Elle pousse un lourd soupir.

"Je n'ai rien fait."

Je la confie à Nipon et retourne à mon bureau. Un ticket de jeu y a été posé en mon absence, un "2 sur 4" apparemment, ce jeu de chevaux où il faut ne deviner que deux chevaux parmi les quatre premiers à terminer la course. Je trouve incrite au dos l'inscription suivante :

"Castro relit une sonate ridée." Non fat, si terré, pondérez de vos sus un pli du tarot ! Mâchotez-le, caro mio, il le rée : mille sèves, ou cosmos en crêpe ! Harcelez à bon but ; ardu, annexez !

Spoiler : Indice Inondiez ce ru...

Je le prends comme un encouragement... Histoire de m'encourager encore plus, je trouve dans un tiroir de mon bureau un billet de Loto où est inscrit :

L'air -- la terre -- le feu --
Pi -- rho -- sigma --

Je le retourne ; une écriture bien plus intéressante figure au dos, gribouillée à la va-vite au stylo bleu :

B -- C -- E -- G --
1 -- 10 -- 100 --
C -- F -- I --
U -- O -- I -- E --
Yeux -- Nez -- Bouche -- Menton --
Galop -- Trot --
Rouge -- Vert --

Spoiler : Indice
Alpes-de-Haute-Provence -- Allier -- Aisne --
4 -- 6 -- 8 --

Facile, me dis-je. Mais douloureux. Dans un autre tiroir, la photo d'un plateau de Reversi, et écrit au dos :

Rln-avblix. Hknvgtmlo hrfkvw Lizx ivtmlok virzu grzofle voov.

Spoiler : Indice. Vxrwmr.

J'ai mal, soudain. Très mal. Je vais passer voir Camille, sans être vraiment persuadé que cela me fera du bien...